Loin de la guerre, près du cœur
En Saskatchewan, les immigrants originaires du Moyen-Orient portent encore en eux le poids des conflits passés et présents. Malgré la distance, la guerre continue de hanter leur quotidien, générant en eux culpabilité, inquiétude et un profond sentiment d’impuissance.
Abdullah Suliman, arrivé en Saskatchewan depuis Gaza en 2019, déplore la situation de ses proches restés au pays.
Abdullah Suliman, originaire de Gaza
Crédits : Courtoisie
« Ma famille vit une situation catastrophique : pas de nourriture, pas d’eau, pas de médicaments. Je me sens coupable d’avoir un toit, de la sécurité, de la nourriture, alors qu’ils n’ont rien. »
Se sentant coupable, il suit les nouvelles en continu, guettant chaque nouvelle attaque. Son espoir : « Que la Palestine soit libre après 77 ans d’occupation. »
Une distance qui n’efface rien
Pour Synthia Khabazian, venue du Liban, les quelque 10 000 kilomètres de distance ne changent rien à la douleur.
« Une partie de moi est encore là-bas. On vit ici, dans un pays de paix, mais le cœur reste avec ceux qu’on a laissés. Chaque matin, j’allume la télévision entre l’espoir et la panique. »
Synthia Khabazian, originaire du Liban
Crédits : Courtoisie
Synthia rêve d’un jour où la paix régnera sur toute la région, un jour où elle pourra enfin dormir sereinement.
Pour Roya Mohammad Youns, originaire d’Afghanistan, la guerre est une partie intégrante de sa vie, si bien qu’elle a du mal à ne pas la ressentir même depuis Saskatoon.
« J’ai grandi dans la guerre. Ici, j’essaie de vivre normalement, mais je pense tout le temps aux enfants là-bas. »
La jeune femme dit aimer profondément Saskatoon, où elle se sent en sécurité, tout en continuant à porter les souffrances de ceux restés au pays.
Entre deux mondes
Pour d’autres, la sensation de tiraillement entre deux mondes est difficile à gérer. C’est le cas de Kimia Kazemi, étudiante iranienne à Saskatoon, qui fait part de son vécu avec une grande émotion.
« Chaque fois que je lis une nouvelle sur la guerre en Iran, je fonds en larmes. Je ressens une profonde culpabilité d’être ici, en sécurité, alors que ma famille vit dans l’angoisse. »
L’étudiante explique que le conflit actuel entre l’Iran et Israël a intensifié cette anxiété :
« Ces jours-ci, nous n’avons aucune tranquillité. Notre état mental est vraiment mauvais. Même si nous vivons loin, la guerre ne nous quitte pas. »
Alors Kimia se raccroche à la poésie persane, comme un refuge pour exprimer sa douleur et sa nostalgie : « Je rebâtirai ma patrie, même avec les briques de ma propre vie… »
Kimia Kazemi, originaire d’Iran
Crédits : Courtoisie
La jeune femme confie aussi que malgré toutes ses années de déplacement, en Suisse, à Londres, à Dubaï, elle n’a jamais vraiment trouvé de paix intérieure.
« La guerre, on croit qu’elle est loin, mais quand elle touche ta famille, elle vit en toi », assène-t-elle.
Et d’ajouter : « Les gens autour de moi pensent que la guerre, c’est quelque chose de lointain, réservé au Moyen-Orient. Mais pour nous, c’est notre quotidien. »
Même si Kimia apprécie la communauté de Saskatoon où elle a élu domicile, un certain isolement la frappe : « Je sens que ceux qui n’ont jamais vécu la guerre ne peuvent pas vraiment nous comprendre, et ça me rend profondément triste. »
À des milliers de kilomètres de leurs pays d’origine, ces néo-Saskatchewanais portent les cicatrices invisibles de conflits qui ne s’arrêtent résolument pas aux frontières.
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