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Le COVID-19 : des éléments de réponses

Le COVID-19 : des éléments de réponses

Entretien avec Claude Flamand, docteur épidémiologiste et chercheur à l’Institut Pasteur

Claude Flamand

Claude Flamand

Docteur épidémiologiste et chercheur à l’Institut Pasteur
Crédit : courtoisie
Claude Flamand, docteur épidémiologiste et chercheur à l’Institut Pasteur, répond aux questions du journal La Liberté sur le nouveau coronavirus. L’expert a bien insisté pour souligner que ces réponses valaient en date du lundi 16 mars.

Propos recueillis par

Laëtitia KERMARREC lkermarrec@la-liberte.mb.ca

Existe-t-il plusieurs souches de coronavirus?

 Les coronavirus sont déjà connus pour être des virus issus majoritairement du monde animal et infectant principalement les mammifères et les oiseaux. Avant cette alerte, on en connaissait déjà six qui infectaient les hommes. Parmi eux, quatre sont des coronavirus saisonniers qui circulent chaque année en Europe mais qu’on ne surveille pas beaucoup car ils ne donnent qu’un rhume sans gravité particulière. Deux nouveaux coronavirus sont plus récemment apparus : le coronavirus du sras (SARS-CoV) en 2003 qui venait d’Asie, et qui a tué environ 10% des personnes infectées, et mers (MERS-CoV) entre 2012 et 2013 qui sévit toujours au Moyen-Orient avec un taux de mortalité d’environ 30 %, bien plus important que pour le nouveau coronavirus de 2019,  SARS-CoV-2.

Le virus est-il volatile et est-il capable de rester dans l’air?

Dans les maladies à transmission respiratoire, on distingue vraiment le mode de contamination par l’air qui peut se faire à distance de la personne infectée, comme c’est le cas pour la rougeole, la tuberculose ou la varicelle, de celui par gouttelettes, comme la grippe ou le coronavirus qui se fait essentiellement dans l’environnement proche de la personne infectée. La différence réside dans la taille des particules capables de contenir le virus : plus elles sont petites, plus elles vont rester dans l’air. Dans le cas du coronavirus, le virus est présent dans le mucus (postillon) projeté par les malades lors d’un éternuement ou d’une toux par exemple. Il faut un contact rapproché à moins d’1,5 mètres pour être infecté par celles-ci lorsqu’elles sont dans l’air. Néanmoins les gouttelettes sont volatiles et peuvent venir se déposer plus loin sur des surfaces s’il y a de la ventilation.

D’où la question du masque…

 Le masque est une barrière mécanique au virus. Il prend tout son sens pour les gens malades, pour éviter de propager le virus, même si l’isolement reste la meilleure des solutions. On sait que les personnes infectées par le coronavirus sont contagieuses avant de développer les symptômes, même si on pense que la majorité des contaminations se fait pendant la durée des symptômes. Dans le contexte actuel, le port d’un masque chirurgical pour les personnes malades ne pouvant pas s’isoler, et le port d’un masque protecteur de type FFP2 pour le personnel soignant le plus exposé, représentent des mesures particulièrement importantes pour limiter la propagation.

Combien de temps le coronavirus peut-il survivre en dehors de son hôte? Une contamination passive, par l’échange d’un objet touché par le malade (ex: monnaie), est-il possible?

 Il faut distinguer le temps durant lequel on peut retrouver des traces du virus, de celui où il est contaminant. Les scientifiques ont estimé qu’un objet ou une surface souillée par une quantité suffisante de mucus, seront contaminants pendant 2 à 4 h.

La contamination passive est donc possible mais à très court terme. Cela dépend également d’autres paramètres comme la température, le degré d’humidité, le type de surface. C’est pourquoi il est recommandé de se laver les mains plusieurs fois par heure si possible, et d’éviter de porter ses mains au visage.

Le virus résiste-t-il moins au chaud et a-t-il plus de chance de se propager dans les pays froids?

Certains virus respiratoires disparaissent à l’arrivée de l’été, comme la grippe ou les virus responsables du rhume. Cela s’explique, en partie, au fait que ces virus tolèrent mieux le froid que les hautes températures et l’humidité élevée.

Pourtant, les espaces confinés, à l’intérieur d’habi-tations peu aérées en hiver par exemple, favorisent la propagation des virus. Cela sous-entend que le virus se transmet bien entre 20°C et 25°C.

D’autre part, si les virus comme le mers-cov ou Sars-Cov-2 se développent aisément dans des pays désertiques, c’est qu’il résiste relativement bien aux fortes chaleurs.

Des études récentes ont permis de déterminer qu’il fallait que le virus soit soumis à des températures supérieures à 56°C pendant 20 à 30 minutes ou à 65°C pendant cinq à dix minutes pour que celui-ci perde son potentiel infectieux. Il ne faut donc pas penser que l’épidémie ne se propagera pas dans les pays chauds. La Guyane, où j’exerce actuellement, en est un bon exemple puisque les épidémies de grippe surviennent chaque année alors que c’est un pays chaud et humide.

Tout virus à un cycle…

 Il est difficile pour le moment de tirer des conclusions sur la dynamique virale du virus, et de savoir s’il se propagera sur un mode saisonnier comme la grippe H1N1, ou s’il disparaîtra comme le SARS-CoV.

Toute la communauté scientifique a les yeux fixés sur l’évolution du virus dans les différentes zones du globe mais on ne connaît pas encore la dynamique du virus dans la population une fois que la pandémie sera passée.

Au niveau statistique, quelle est la vitesse de propagation actuelle du virus?

 La vitesse de propagation du virus est mesurée selon deux paramètres épidémiologiques :

  • le taux de reproduction du virus, c’est-à-dire le nombre moyen de personnes qu’un malade va infecter à son tour. On estime ce nombre à deux à trois personnes en moyenne, si aucune mesure de prévention n’est prise. Il peut monter à plus de dix individus infectés si le malade se rend à des rassemblements mais le taux moyen donne une idée globale du nombre de cas secondaires liés à un cas infecté. L’objectif est d’appliquer des mesures pour réduire ce nombre à moins d’une personne afin de mettre fin à l’épidémie.
  • l’intervalle de génération: c’est le temps moyen qui sépare l’infection d’une personne à celle d’une personne qu’elle aura contaminée. La grippe saisonnière, par exemple, a un intervalle de génération de  3 jours alors qu’il est estimé à  6 jours pour le coronavirus.

Quelles ont été les phases de propagation du coronavirus?

 La première phase de propagation a commencé mi-décembre avec les premiers cas autour du marché de Wuhan, dans la province de Hubey, où il y a eu passage du virus de l’animal à l’homme. Une très forte épidémie a démarré dans la ville de Wuhan et ses environs, avec très peu de déplacements en dehors compte tenu du confinement mis en place à partir du 23 janvier. La deuxième phase de propagation, un mois plus tard, s’est faite dans plusieurs pays d’Asie comme la Thaïlande, la Corée du sud ou le Japon. Puis est venu la troisième phase de propagation il y a environ 2-3 semaines, où l’on a vu des chaînes de transmission s’installer dans des pays beaucoup plus éloignés, sur tous les continents du globe. C’est la pandémie.

Dans chaque pays, on distingue encore trois stades :

  • Stade 1: les malades ne sont que des cas importés, ils arrivent dans leur période d’incubation. Dans cette phase, les autorités cherchent à identifier les contacts des malades et à retarder l’introduction du virus;
  • Stade 2: une chaîne de transmission apparaît, on voit alors des clusters de malades qui émergent et on essaie de limiter la propagation ;
  • Stade 3: la maladie se répand sur la majorité du territoire et on essaie de limiter les conséquences de l’épidémie.

Des porteurs sains peuvent-ils transmettre le virus?

 Certaines personnes sont infectées mais ne développent pas de symptômes. On parle de porteurs sains ou de cas asymptomatiques. Bien qu’ils ne se sentent pas malades, ils peuvent transmettre le virus aux autres. Les scien-tifiques ne savent pas bien expliquer pourquoi ils sont asymptomatiques: chaque individu a des caractéristiques individuelles, un bagage génétique différent, un système immunitaire plus ou moins performant.

Beaucoup de facteurs rentrent en ligne de compte et c’est le cas de beaucoup de virus. Le virus Zika par exemple, est asymptomatique dans 80% des cas.

Cela permet également d’apprécier la gravité de la maladie : de façon générale plus elle est grave, et moins le virus va se propager car la personne sera trop malade pour aller au contact des autres. La gravité et la propagation évoluent donc souvent de façon opposée. Ce sont les paramètres modifiés lors d’une mutation d’un virus.

Les porteurs sains sont-ils une piste de recherche pour un nouveau traitement?

 Les porteurs asympto-matiques peuvent être utiles à la recherche pour comprendre le fonctionnement du virus. Pour un nouveau traitement, il faut aller vite et donc il vaut mieux se baser sur des traitements  déjà connus, ce qu’on appelle le « repositionning »  et on teste pour cela des molécules déjà connues pour voir si elles sont efficaces contre le coronavirus.

La collaboration entre Institutions est essentielle…

 Il existe une très grande collaboration entre les différents pays. Lorsque le virus est apparu en Chine, il a très vite été séquencé. Ces informations, ainsi que l’évolution des malades, ont rapidement été communiquées aux autres pays pour y déployer des outils de diagnostic et se préparer à son arrivée éventuelle. Toute la communauté scientifique, médecins et chercheurs, collaborent, en organisant des réunions fréquentes pour partager les données.

Sait-on combien de temps il faudrait pour trouver un vaccin?

 Il ne faudra pas moins d’un an pour développer un nouveau vaccin. C’est un long processus qui implique de nombreux tests en laboratoire avant utilisation sur l’Homme, pour s’assurer d’une part que le vaccin fonctionne correctement, et d’autre part qu’il n’a pas d’effets secondaires sérieux. Environ une vingtaine de laboratoires travaillent dessus actuellement.

L’Institut Pasteur, par exemple, teste un nouveau vaccin basé sur celui contre la rougeole, auquel sont ajoutées des particules de coronavirus inactivées. Le but est que le système immunitaire de la personne vaccinée, apprenne à reconnaître le nouveau virus dans des conditions sécuritaires. Il pourra alors réagir efficacement lors d’une infection par le coronavirus actif. Cinq autres laboratoires s’appuient aussi sur le même type de recherche.

Travaillez-vous, en collaboration avec le Canada?

 C’est l’Organisation Mondiale pour la Santé, OMS, qui centralise les informations de tous les pays et les communique à la communauté scientifique, pour suivre l’évolution du coronavirus et anticiper au mieux.

Les systèmes de santé, les hôpitaux, sont-ils adaptés à cette pandémie?

 Cela dépend des pays. Les hôpitaux des pays en voie de développement, comme l’Afrique sub-saharienne, l’Inde, ou encore les Philippines, ne sont pas équipés. Dans les pays développés, les hôpitaux sont mieux préparés mais des inquiétudes continuent de planer : les autorités veulent à tout prix éviter qu’il y ait un pic trop important de malades. La majorité des malades présenteront des formes bégnines, mais on veut pouvoir éviter un engorgement des hôpitaux.

D’après ce qu’il s’est passé en Chine, on estime que 15 % des malades auront besoin d’aller à l’hôpital, 5 % auront recours à un service de réanimation et 1 % décéderont. Les observations sont affinées au fur et à mesure. Le but est de se préparer correctement pour éviter d’encombrer les hôpitaux avec un afflux trop important de patients nécessitant une assistance respiratoire.

En Europe, par exemple, il y a actuellement une épidémie de grippe, dont les symptômes ressemblent beaucoup à ceux du coronavirus. Il y a donc déjà des lits occupés par des malades de la grippe dans les services concernés.

Le but est de retarder l’apparition et l’intensité du pic de coronavirus, pour s’assurer d’avoir suffisamment de place dans les hôpitaux, et plus de temps pour développer un traitement efficace.

S’il fallait faire un choix entre les patients, comment serait-il fait?

 Devoir faire un choix entre les patients est le scénario catastrophe que les autorités et les services hospitaliers souhaiteraient éviter à tout prix car l’impact sanitaire et social serait très important. Dans un tel cas, on prend en compte l’état clinique et la vulnérabilité du patient.

La panique autour du coronavirus est-elle raisonnable?

 L’inquiétude autour du coronavirus est compréhensible du fait qu’il s’agit d’un nouveau virus et qu’on le découvre au fur et à mesure. Dans un sens, l’inquiétude aide les gens à mettre en œuvre des moyens de protection mais la panique apporte néanmoins des difficultés supplémentaires aux autorités sanitaires.

La population se précipite dans les pharmacies et les supermarchés, ce qui d’une part favorise la transmission du virus, et d’autre part augmente la pénurie avant même qu’on ait eu réellement besoin des produits disparus, comme les solutions hydro alcooliques. Il faut rester attentif à la situation pour diminuer au maximum la transmission du virus. Les autorités sanitaires prennent des mesures assez fortes dans ce sens, ce qui inquiète parfois la population.

Un autre phénomène qui ajoute à la psychose est le monde des actualités et les réseaux sociaux, sur lesquels on trouve de vraies informations mais aussi des fausses. Il faut donc rester vigilant sans paniquer. Il faut que l’on apprenne à vivre avec le virus et à adopter des nouvelles habitudes comme le fait de ne pas trop se regrouper, ou se rapprocher.

Portrait du SARS-CoV-2

Le nouveau coronavirus possède une très forte similarité génétique (82%) avec le celui qui avait éclaté en 2003, le SARS-CoV pour Severe acute respiratory syndrome-related coronavirus.

Cette ressemblance suggère une pathogénicité* similaire au SARS-CoV. Elle est intéressante car elle va peut-être permettre aux chercheurs de trouver un remède contre le SARS-CoV-2. Lorsqu’il y a infection de notre corps par un virus, nos cellules immunitaires le reconnaissent pour le détruire, grâce à des signaux que le virus exprime en surface. Aucune mutation ne s’est produite entre SARS-CoV et SARS-CoV-2 au niveau de ces signaux. Ils pourraient donc être des cibles potentielles pour un nouveau vaccin. Des études sont en cours(1).

D’après les études récentes, le temps d’incubation du virus serait situé entre 0 et 24 jours(2). Mais le docteur Flamand précise que la période d’incubation varie très majoritairement entre 2 et 12 jours.  Ce qui donne tout son sens à la période de mise en quarantaine de 14 jours.

*pathogénicité: pouvoir pathogène, capacité (d’un agent infectieux) de causer une maladie

  1. Preleminary identification of potential vaccine targets of the COVID-19 coronavirus (SARS-CoV-2) based on SARS-CoV immunological studies. Syed Faraz Ahmed et al. Feb. 9, 2020

Quels sont les symptômes?

La majorité des  patients vont développer des symptômes modérés avec un bon pronostic mais certains vont développer une infection respiratoire aigue et sévère, une pneumonie, ou un syndrome de détresse respiratoire sévère. Certains patients vont avoir besoin d’anesthésie, d’une intubation endotrachéale, de soins intensifs, voire de la chirurgie.

Sur les 99 patients de la précédente étude, les manifestations cliniques étaient la fièvre (83%), la toux (82%), le raccourcissement du souffle (31%), des douleurs aux muscles (11%), une confusion (9%), des maux de tête (8%), des maux de gorge (5%), une rhinorrhée (4%), une douleur pectorale (2%), de la diahrrée (2%) et de la nausée et vomissement (1%). Avec les techniques d’imagerie, on pouvait voir une pneumonie bilatérale (75%), une opacité des poumons (14%) et un pneumothorax (1%). 17% des patients ont développé un syndrome de détresse respiratoire aigue. 11% d’entre eux ont présenté une dégradation des symptômes en un temps très court et sont mort d’une défaillance de plusieurs organes à la fois(1).

  1. Epidemiological and clinical characteristics of 99 cases of 2019 novel coronavirus pneumonia in Wuhan, China: a descriptive study, Chen N, et al. 2020

Le problème  des porteurs sains

Des cas de porteurs sains ont été reportés. Un enfant de 10 ans avait été trouvé porteur du virus SARS-CoV-2 : il ne présentait aucun symptômes apparents mais la tomodensitométrie (CT scan) avait révélé des anormalités caractéristiques du coronavirus dans sa poitrine(1). D’autres cas de porteurs sains ont été reportés(2).

  1. A familial cluster of pneumonia associated with the 2019 novel coronavirus indicating person-to-person transmission : a study of a familal cluster, Jasper Fuk-Woo Chan et al., Feb. 24, 2020.
  2. Presumed asymptomatic carrier transmission of COVID-19, Yan Bai et al., Feb. 21, 2020.

Les acteurs de première ligne

On sait que le coronavirus est très contagieux. Comment le personnel de santé, qui est au premier front, fait-il pour se protéger?

Les services de soins font face à des défis énormes pour gérer les patients contaminés par la COVID-19. À commencer par les questions suivantes :

comment protéger le personnel de santé, tout en prenant soin des malades. La protection du personnel de santé inclut des précautions universelles : le port de gants, d’un masque respiratoire ajusté, d’une protection oculaire, et d’une combinaison intégrale.

comment se protéger contre les infections croisées* : cela inclut une chambre d’isolement, des filtres à air dans les circuits de ventilation et des absorbants de CO2. Les filtres à air sont remplacés après chaque utilisation. Les voies aériennes et la présence de gouttelettes sont contrôlées.

Enfin, des protocoles de gestion de crise sont mis en place dans les hôpitaux.

Cet équipement génère des difficultés pour le personnel soignant comme une faible visibilité dans la combinaison, des difficultés à communiquer avec les masques. Ils ont chaud et transpirent à l’intérieur des combinaisons. La Covid-19 est une nouvelle maladie dont la transmission, la présentation clinique, le diagnostique et la gestion évoluent et les soins sont réadaptés au besoin (1).

* infection croisée : infections hospitalières, infections nosocomiales

(1) Perioperative care provider’s considerations in managing patients with the COVID-19 infections, Xiangdong Chen et al. 2020.

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